Bonjour.
Dans la suite de la contribution de Lise Roméo De Zerbi sur la vie à Fontana Rosa, je vous prie de bien vouloir trouver ci-dessous un article à la bibliothèque de Vicente Blasco Ibañez à Fontana Rosa. Cet article est un extrait du Mémoire universitaire rédigée par Lise au moment de ses études, à la fin des années 60. La Bibliothèque a souffert de multiples péripéties depuis la disparition de l'écrivain à Fontana Rosa en 1928. Le pire des fléaux a été l'oubli et la négligence des lieux, de la mémoire et des engagements pris. Mais le naufrage total a pu être évité en grande partie grâce à la pugnacité de deux étudiantes de la Faculté d'Espagnol de l'Université de Nice : Lise Roméo De Zerbi et Arlette Guillem. Ces deux jeunes femmes n'ont pas compté leurs efforts pour sauver du désastre ce "Radeau de la Méduse" qu'était devenue la Maison de Vicente Blasco Ibañez et toute la propriété de Fontana Rosa. Lise Roméo épouse De Zerbi et Arlette Guillem ont travaillé centimètre par centimètre pour sauver ce qu'il restait de documents et d'ouvrages dans l'endroit où l'écrivain exerçait. Nous leur devons énormément, c'était en 1968-1969.
Ce travail est impressionnant : 2 tomes de 138 et 310 pages, qui ont demandé aux deux étudiantes une grande recherche dans des conditions souvent difficiles.
Je vous souhaite une belle découverte du résumé ci-dessous.
Patrick Estève - Président du Cercle Blasco Ibañez.
La Bibliothèque de Vicente Blasco Ibañez à Fontana Rosa
Par
Lise Roméo ép. De Zerbi
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On peut comprendre que sa bibliothèque représente en même temps les témoignages de ses inquiétudes, de ses amitiés et de ses actions.
Le plus étonnant est la simplicité de la nomenclature des livres, le nombre de livres et la diversité des sujets traités. Ces livres vont être lus et annotés, ce qui montre que ce n’est pas une bibliothèque appartenant à un bibliophile qui considérerait ses livres comme des objets décoratifs mais comme un outil d’usage quotidien.
Les livres deviennent pour celui qui les inventorie et qui étudie l’ensemble un révélateur de la personnalité de Vicente Blasco Ibanez.
Ces livres proviennent du monde entier mais la littérature française tient une place principale tant par ses traductions que par ses originaux.
Les biographies et les carnets de voyages vont être aussi nombreux que les romans car la curiosité de Blasco Ibanez était à la fois universelle et concrète.
La plupart de ses livres sont contemporains ; la curiosité de Blasco Ibanez est universelle et de son temps.
En étudiant les catalogues, on peut découvrir l’originalité intellectuelle du romancier. Il se réfère moins au monde gréco-latin qui a inspiré souvent les écrivains espagnols pour porter son intérêt vers une culture plus vivante et moderne.
Au lieu de se contenter de regarder la tranche des livres pour collectionner les titres, on poussait l’exploration en les ouvrant, c’est le cœur de Vicente Blasco Ibanez que l’on découvrirait.
Les dédicaces portent la chaleur des relations humaines vraiment amicales. Les célébrités s’adressent à Blasco Ibanez comme un ami aimé et apprécié (Anatole France, Upton Sinclair, Oscar Wilde) mais l’intérêt des plus jeunes est aussi symptomatique ; par exemple : Panaït Istrati lui demande son aide dans le chemin des Lettres et il envoie ses livres pour se les faire corriger. Cependant, cette amitié va se concentrer sur quelques personnages qui sont nettement plus présentes dans sa bibliothèque.
Malgré la présence d’ouvrages fantastiques ou poétiques, la plus grande partie des auteurs présentés sont les humanistes (Victor Hugo, Anatole France, Panaït Istrati). C’est un humaniste pragmatique qui mélange l’action et les combats au-dessus des frontières pour la justice et la paix.
Cette bibliothèque offre l’image de l’intelligence, du cœur et du caractère d’un Homme.
Pour cela, il est scandaleux de laisser à l’abandon cette richesse.
Il cherchait à rassembler autour de lui toute la documentation nécessaire pour comprendre les mythes et les angoisses de son époque.
L’ensemble de son œuvre et de sa bibliothèque est un document de grande importance dont l’obligation de le conserver n’incombe pas seulement à sa famille et à la Ville de Menton sinon à tous ceux et celles qui s’intéressent à la culture espagnole.
LA BIBLIOTHEQUE
La bibliothèque de Vicente Blasco Ibanez se trouve dans la Villa Amélie.
Les livres qui forment cette bibliothèque proviennent de différents endroits. Il a toujours aimé les livres, Vicente, depuis tout petit lisait beaucoup, il avait une bibliothèque importante. A Valencia, il avait réuni des milliers de volume, à Madrid et à Paris aussi. Et quand il s’installe à Fontana Rosa, il demande qu’on lui renvoie de nombreux volumes.
Il voulait réunir toutes ses bibliothèques à Fontana Rosa.
En plus, beaucoup de livres qui sont à la bibliothèque ont été édités par lui-même. C’est pour cela que l’on trouve toute la collection de l’éditorial Sempere et de l’Editorial Prometeo de Valencia.
D’autres livres sont des cadeaux des éditeurs ou d’écrivains.
Il possède aussi tous les livres dont un écrivain a besoin : dictionnaires, atlas, et livres dans lesquels il pouvait trouver de la documentation concernant ses écrits.
Malheureusement, de nombreux volumes ont été volés pendant la guerre de 1940. Mais aussi de nombreux visiteurs ou admirateurs ont osé prendre un ou plusieurs livres comme souvenir du grand romancier.
La bibliothèque se compose de trois pièces : l’entrée, une petite pièce en-dessous l’escalier et une autre pièce à gauche, la grande salle d’étude.
Les parois de ces trois pièces sont recouvertes par des séries d’étagères et dans la grande salle, se trouvent deux fichiers dans lesquels ont été inventoriés tous les livres.
Il y avait un fichier organisé par matières qui avait disparu complètement et le deuxième fichier avec des fiches par nom d’auteur et par ordre alphabétique qui était cependant très incomplet. Aussi, dans ce deuxième fichier, il manquait de nombreuses fiches pour chaque lettre, il y a même un lettre qui n’existe pas, le S.
Ces fiches toutes incomplètes étaient très « fantaisistes ».
Il régnait un grand désordre dans toute la bibliothèque et il a fallu comprendre comment il avait organisé ses livres qui n’étaient pas classifiés ni par matière, ni par auteur. On a imaginé que le secrétaire a archivé les livres selon leur arrivée à la bibliothèque.
Devant l’immensité du travail, il a fallu choisir et laisser tous les journaux, revues, bulletins et anales très nombreux qui occupaient une grande partie de l’entrée. Il s’agissait de : la Revue des deux mondes, la Revue Illustrée, El Boletin de la real Academia de la Historia, le Journal des voyages, le Monde illustré, les Œuvres libres et la British Revue, les Anales Juridicos ainsi que des revues très typiques et pittoresques de la belle époque comme « Frou Frou » et beaucoup d’autres.
Après, on s’est aperçu qu’il manquait deux meubles qui occupaient les parvis de la grande salle d’étude, à côté de l’entrée.
En plus, une série de livres avaient une signature différente des autres, ils avaient un B. On pensait que ces séries provenaient de la bibliothèque qui était à l’entrée de la tour dans laquelle il y avait plusieurs étagères. Il y avait six séries d’étagères.
La première nommée I…B qui avait quatre étagères.
La II…B qui avait aussi quatre étagères, la III…B qui en avait six, la IV…B qui avait cinq étagères, la V…B qui en avait quatre et la dernière, la VI….B qui en avait sept. Mais, on ne peut pas se rendre compte de la quantité de livres qui existaient à l’époque de Vicente puisqu’ils ont disparu pratiquement tous.
On a examiné la bibliothèque à partir des fiches qui existaient.
Séparons en trois catégories les livres : d’un côté, les œuvres de Blasco Ibanez en espagnol, les œuvres traduites avec signature ou sans signature.
On a laissé de côté les livres qui n’avaient pas de signature et one ne sait toujours pas le nombre de livres qui existaient réellement dans la bibliothèque, peut-être plusieurs centaines.
Quand on a examiné les livres, on s’est rendu compte que la signature était composée d’un numéro romain qui désignait la série d’étagères. Il y avait, en plus des six séries de l’entrée de la Tour, trente et une séries qui étaient réparties dans toute la bibliothèque.
Après les numéros romains, il y avait un numéro qui ne dépassait pas le 14, qui représente le numéro d’étagère, c’est-à-dire que dans la série d’étagères n° I, il y avait sept étagères, dans la II il y en avait six, dans le III il y en avait quatre, dans la IV quatre, dans la V sept, dans le VI huit, dans la VII huit, dans la VIII huit, dans la IX huit, dans la X trois, dans la XI neuf, dans la XII dix, dans la XIII neuf, dans la XIX neuf, dans la XX cinq, dans la XXI six, dans la XXII six, dans la XXIII huit, dans la XXIV sept, dans la XXV sept, dans la XXVI sept, dans la XXVII huit, dans la XXVIII neuf, dans la XXIX six, dans la XXX six et dans la XXXI sept.
Le dernier numéro de la signature représentait la place du livre dans l’étagère. Ce numéro varie d’une étagère à l’autre selon que les ouvrages soient plus au moins épais.
Quand on examine les livres, on voit que bon nombre de ceux-ci sont dédicacés, certains ont encore leurs pages soudées. Il a fallu faire différents catalogues. Il nous a paru très intéressant de rajouter un catalogue pour les œuvres de Vicente Blasco Ibanez qui ont été éditées en espagnol. Avec le nombre de volumes, on a pu se rendre compte de l’importance du romancier à son époque et de son succès.
Nous avons inclus la liste dans ce catalogue, annexe « Obras de Vicente Blasco Ibanez con el numero de ejemplares impresos en espana hasta enero de 1928 » - pages 1 et 2.
Après avoir vu le nombre de romans traduits, on a pensé qu’il fallait faire un catalogue des œuvres de l’écrivain traduites en différentes langues.
A la mort de Blasco Ibanez, ses ouvrages avaient été traduits en une cinquantaine de langues, même en russe, en plusieurs dialectes, en esperanto, en javanais.
Don Sigfrido Blasco Ibanez nous avait dit qu’il avait lu dans une revue russe appelée « Carnets soviétiques » éditée en français par la bibliothèque nationale de Moscou en 1947, que les traductions des auteurs espagnols en russe étaient très nombreuses. Que les auteurs les plus importants étaient Miguel de Cervantès avec son « Don Quichotte » (800 000 exemplaires) suivi de Vicente Blasco Ibanez avec 400.000 exemplaires puis des autres classiques espagnols comme Tirso de Molina, Calderon de la Barca, Pio Baroja, etc….
Dans ces catalogues, on trouve des traductions de Vicente Blasco Ibanez en catalan, tchèque, allemand, bulgare, danois, hollandais, français, anglais, italien, japonais, hongrois, norvégien, polonais, portugais, russe et suédois.
CATALOGUE DE LIVRES SOULIGNES
Il reste trente volumes annotés. Pour la plus grande partie, il s’agit d’histoire (4 volumes), de la guerre de 1914 (4 volumes), de religion (4 volumes), de littérature (4 volumes), de Christophe Colomb (3 volumes), de médecine (3 volumes), de philosophie, occultisme, politique, sexualité. C’est un ensemble très hétérogène.
CATALOGUE DE LIVRES DEDICACES
De nombreux livres avaient une dédicace, certains avec les pages encore soudées (131), d’autres ouverts (421).
Dans les catalogues des livres ouverts, on trouve des dédicaces très différentes qui proviennent d’écrivains très divers dont de nombreux écrivains féminins, certains connus, d’autres moins.
Certaines dédicaces, les plus nombreuses et passionnelles, proviennent de Carmen Burgos sous le pseudonyme de « Colombine ».
La plus célèbre d’entre elles est Concha Espina qui est encore une écrivaine très appréciée.
Ce n’est pas surprenant de trouver des dédicaces de René Lafont, puisqu’il va traduire souvent des ouvrages d’auteurs espagnols.
Une autre dédicace provient d’une princesse inconnue appelée Mirza Riza Khanarfa qui habitait à Monte Carlo. On en trouve aussi d’Aurore Sand et bien d’autres.
De nombreux écrivains étrangers comme l’américain Upton Sinclair qui était un ami intime de Vicente, de nombreux français tels Henri Barbusse qui écrivait beaucoup sur la guerre, Paul Adam, Claude Farrere, Henri Duvernois, Anatole France, Edmond Jaloux, Francis de Miomandre, Henry de Montherlant, Lucien Guitry et même Léon Blum, grand politique français qui lui envoie un livre sur Stendhal.
Parmi les écrivains espagnols, nous trouvons des auteurs très importants comme Ricardo Leon, Juan de Tena, Ramon Menendez Pidal, Armando Palacio Valdès, Gomez Garrillo et beaucoup d’autres qu’il connaissait et appréciait.
Parmi les écrivains espagnols moins connus, on trouve en de nombreuses occasions José Francès et José Mas.
Comme un souvenir familial, on a trouvé une dédicace de l’ouvrage de son fils, Mario « Mala Hierba ».
Toutes ces dédicaces très nombreuses et élogieuses montrent la grande considération et l’affection qui était témoigné au grand romancier.
Dans les catalogues des livres dont les pages sont encore soudées, on trouve des auteurs déjà présents dans les catalogues des livres « ouverts » comme Henri Duvernois, José Francès, José Mas, Carmen Burgos, son ami Gasco Contell qui écrivait sur Blasco Ibanez en termes très élogieux : « Géni et figure de Vicente Blasco Ibanez, agitateur aventurier et romancier », Gomez de la Serna, Hoyos y Vinent, Luca de Tena, et deux autres auteurs français, Margueritte et Edmond Jaloux.
Vicente Blasco Ibanez ne lisait pas tous les livres qui étaient dans sa bibliothèque tout comme il ne lisait pas tous les livres de ses amis écrivains.
Mais il faut dire que dans ce catalogue, il se trouve surtout des auteurs mineurs, pas très intéressants, il s’agit d’amis qui lui donnent leur ouvrage en témoignage de leur amitié.
CATALOGUE DES LIVRES AUJOURD’HUI DISPARUS ET CEUX EXISTANTS
Il semblerait plus intéressant d’examiner les catalogues des livres qui existaient au temps de Blasco Ibanez. Il s’agit surtout d’ouvrages d’écrivains très connus, raison pour laquelle ils ont presque tous disparus.
Le nombre de volumes disparus est de 3.500. Il reste actuellement 3.000 volumes, c’est-à-dire que la bibliothèque était composée de 6.500 volumes sans compter les revues.
Quand on examine les deux catalogues, on remarque qu’il ne manqu dans la bibliothèque aucun livre nécessaire à un homme cultivé.
On peut voir quels types d’auteurs et de sujets intéressaient Vicente Blasco Ibanez. On trouve presque tous les auteurs gréco-romains, Homère, Hérodote, Virgile, Lucrècio et Erasmo y Bocaccio.
Il ne manque pas d’auteurs classiques européens : Shakespeare, Cervantès, Molière, Racine, Sainte Beuve, Buffon et beaucoup d’autres.
Parmi les auteurs français, on trouve Balzac, Zola, Victor Hugo qui suscitait l’admiration de Vicente Blasco Ibanez, Lamartine, Mérimée, Catulle Mendès, l’historien Michelet, les Frères Goncourt, Romain Roland, Jules Renard, Eugène Sue, Théophile Gauthier et Pierre Loti.
Les auteurs étrangers sont également bien représentés : Shelley, Dostoïevski, Tolstoï, Goethe, Kant, Washington Irving, Maeterlinck, Dickens, Huysmans, Kipling, Byron entre les plus célèbres.
Parmi les ouvrages les plus étonnants, se trouve le Coran et les ouvrages de Sacher Masoch.
En ce qui concerne les auteurs espagnols qui sont très nombreux, on trouve : Miguel de Cervantès, Perez Galdos, Pio Baroja, les frères Pachado, Muguel de Unamuno, Leopoldo Alas « Clarin » , Juan Ramon Jimenez, Armando Palacio Valdes, Menendez Pelayo, Menendez Pidal et l’historien Rafael Altamira, l’humoriste Ramon Gomez de la Serna, Ricardo Leon, José Francès, Gasco Contell et Luca de Tena, le directeur du journal ABC et le grammairien Julio Casares, etc….
On constate que les sujets aussi bien que les auteurs sont nombreux et hétérogènes : la musique de Wagner, l’histoire, les carnets de voyages et surtout les documents sur Christophe Colomb et l’Amérique.
La préoccupation de l’écrivain pour la guerre de 1914 se traduit par l’abondance des ouvrages sur les prisonniers et les événements militaires de l’époque.
Il cherchait beaucoup de documentation sur les religions, en particulier sur la religion juive.
Quelques livres sur l’occultisme rappellent l’intérêt que suscitait cette science pour l’écrivain. La philosophie l’attirait aussi on trouve de nombreux ouvrages philosophiques.
Une autre orientation de Vicente, c’est son intérêt pour la médecine, la santé et la sexualité.
De nombreux catalogues de différents musées sont présents dans sa bibliothèque, ce qui montre la quantité des voyages qu’il avait réalisés.
Il existait également des discours de l’Académie, traités d’histoire, de droit et d’éducation des enfants.
Les livres traitant de politique étaient nombreux. Il avait participé à la politique espagnole à Valencia et après à Madrid, comme politicien et comme écrivain.
Après son exil, il a écrit de nombreux ouvrages comme « Alphonse XIII, démasqué » et « Ce que sera la République espagnole ».
Dans sa bibliothèque, il ne manque pas non plus de traités techniques, il existe de nombreux écrits sur l’aviation et l’électricité